Revue de presse : (Le Monde interactif) :
Les chercheurs s'efforcent de prémunir la forêt contre les tempêtes
Alors que l'on s'inquiète des effets dévastateurs des catastrophes météorologiques de décembre 1999, l'INRA et le Cemagref étudient la sensibilité des arbres au vent. De nouvelles pratiques sylvicoles pourraient améliorer leur résistance, sans toutefois apporter de garantie absolue.
Mis à jour le mardi 7 novembre 2000
BORDEAUX de notre envoyé spécial
« D'après les ouvrages spécialisés, il ne devrait strictement rien se passer. Et pourtant ! » Et pourtant les faits sont là, têtus comme les arbres plantés par Stéphane Berthier. Cet étudiant en biomécanique prépare une thèse consacrée aux « effets du vent sur la croissance et le développement du pin maritime ». Voilà deux ans, il a aménagé, au Centre de recherches forestières de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Cestas, près de Bordeaux, un dispositif expérimental rudimentaire. Un ventilateur, fixé à l'extrémité d'un bras rotatif, souffle sans discontinuer de l'air sur de jeunes plants disposés en cercle.
« Même avec un vent très faible de 30 km/h et à raison de 10 secondes seulement d'exposition toutes les 20 minutes pour chaque arbre – soit un cumul de trois jours par an –, on observe des réactions inattendues, preuve d'une grande sensibilité des végétaux », décrit le thésard. Celui-ci a eu la surprise de constater que les pousses ne s'inclinaient pas dans le sens du vent, mais recherchaient le soleil, « comme si la sollicitation mécanique éveillait une sensibilité à la lumière ». Surtout, il est vite apparu que les plants soumis à ce régime poussaient mieux que les autres. « Regardez, il n'y a pas photo ! », s'exclame Stéphane Berthier, montrant un groupe d'arbres témoins plantés à la même époque et que ses protégés dépassent d'une bonne tête.
Ce surprenant phénomène trouve peut-être son explication dans un meilleur développement racinaire, favorisant une croissance plus véloce des pins « ventilés ». Quelques spécimens déterrés pour les besoins de l'étude semblent l'attester : le côté exposé au vent présente un entrelacs de longues racines arrimant l'arbre au sol, à la manière de haubans, tandis que le côté sous le vent est pourvu d'une grosse racine faisant office de béquille. Une dissymétrie qui confirme l'aptitude des arbres à s'adapter aux contraintes qu'ils subissent, en élaborant du bois de compression (chez les résineux) ou de tension (chez les feuillus), c'est-à-dire des tissus ligneux plus ou moins rigides agissant à la façon de véritables muscles.
De là à imaginer « éduquer » les arbres et les acclimater au vent, en équipant les pépinières de souffleries, il y a un fossé que le jeune chercheur se garde de franchir. A supposer qu'un tel projet soit viable économiquement, rien ne dit que les plants adultes conserveraient les propriétés des pousses juvéniles. Comment, de surcroît, les replanter ? Dans la direction des vents dominants ? Ils seraient alors à la merci de bourrasques inopinées, d'autant que le développement racinaire observé dans le sens du vent semble s'opérer au détriment des racines latérales.
Plus modestement, les scientifiques s'efforcent de mieux comprendre le comportement mécanique des peuplements forestiers. Ces recherches, hier marginales, suscitent un regain d'intérêt depuis les tempêtes de décembre 1999, qui ont mis à terre 140 millions de mètres cubes de bois. Et les modèles des climatologues, qui prévoient une intensification des phénomènes extrêmes liée au réchauffement de la planète, ne peuvent que les stimuler.
Les innombrables chablis laissés au sol par les ouragans offrent à Thierry Fourcaud, chercheur au laboratoire de rhéologie du bois de Bordeaux (CNRS-INRA-université Bordeaux-I), un désolant mais aussi merveilleux terrain d'observation, dont il veut « tirer profit au maximum pour étudier les systèmes racinaires et leur plus ou moins grande efficacité ». A cet effet, le laboratoire a entrepris de modéliser, pour mieux les comparer, les architectures racinaires de plusieurs dizaines d'arbres fauchés par le vent ou restés debout.
MOINS HAUTS, MIEUX ENRACINÉS
Les racines ne font cependant pas tout. « La résistance au vent est fonction de multiples facteurs, souligne Laurent Bergès, spécialiste des écosystèmes forestiers au centre de Nogent-sur-Vernisson (Loiret) du Cemagref (Centre du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts). Elle dépend des caractéristiques de l'événement climatique, bien sûr, mais aussi des espèces (les résineux sont globalement plus sensibles que les feuillus), du type de sol qui joue sur la qualité de l'ancrage (les racines peuvent fixer une masse de terre représentant six à huit fois celle des parties aériennes), de l'âge et de la hauteur des arbres, de la structure du couvert… » Bref, une équation comportant de si nombreux paramètres qu'il serait illusoire de lui chercher une solution unique. « Neutraliser les tempêtes en proposant un modèle de forêt susceptible de résister à toutes les déferlantes éoliennes n'est pas envisageable », conclut un groupe de travail piloté par le groupement !
d'intérêt public Ecofor, en préconisant la création d'un observatoire européen des dégâts des tempêtes.
L'Office national des forêts (ONF) n'en tire pas moins de premières leçons. « La hauteur dominante d'un peuplement est déterminante pour sa stabilité : trois ou quatre mètres supplémentaires suffisent à doubler le risque qu'il soit couché par un vent de 130 ou 140 km/h. A l'avenir, nous allons procéder à des éclaircies plus fréquentes, ce qui permettra aux systèmes racinaires de se développer et aux arbres de grossir plus rapidement, au lieu de se
transformer en chandelles », annonce Jacques Trouvilliez, chef du département aménagement,
sylviculture et espaces naturels. Le travail du sol et notamment le drainage des terrains humides, défavorables à un enracinement solide, seront encouragés, « la sylviculture pouvant même être abandonnée sur les sols les plus spongieux ».
Un traitement spécifique devrait en outre être réservé aux lisières, dont la structure joue un rôle capital sur l'importance des dégâts subis par les forêts. L'expérience montre que lorsqu'elles sont trop denses, elles génèrent des turbulences dévastatrices pour les zones situées immédiatement derrière elles. Les essences à feuilles caduques, offrant moins de prise aux tornades hivernales, pourraient donc être privilégiées dans ces lisières, auxquelles un profil étagé en biseau donnerait aussi une fonction de déflecteur.
Le chantier de reconstitution de la forêt ne fait que commencer. Selon l'ONF, « il faudra une dizaine d'années pour qu'elle se régénère, de préférence de façon naturelle et en favorisant le mélange des essences ». Pour les chercheurs, il importe de ne pas se précipiter. « Le danger, met en garde Laurent Bergès, serait que, sous prétexte de mieux prendre en compte la résistance au vent, on en néglige d'autres paramètres, au risque de fragiliser finalement la forêt. »
Pierre Le Hir |